- Vous ... vous êtes définitivement pleine de ressources ...pour une simple espionne et vous avez fait pas mal de chemin si c'est pour protéger votre couverture ...

La tête de Vasily est tout bonnement impayable : j'éclate de rire, si fort que j'en ai mal au ventre, les larmes aux yeux et des hoquets.

- Ma couverture ? Elle a été foutue en l'air depuis que je suis rentrée dans ce putain de bâtiment du Kremlin !

Lâchant un soupir, j'essuie mes larmes du dos de la main, tout en fixant Vasily, de plus en plus déphasé. J'inspire longuement, pour me calmer.

- Au fait.

- Da ?

Je m'approche et lui assène une claque retentissante sur sa joue.

- Ça, c'est pour m'avoir balancée du train, bâtard ! Et encore, je ne compte pas l'interrogatoire.

Cette fois, je prends sa main droite et lui glisse son pistolet, et sur sa poitrine, je lui colle sa plaque encore tâchée.

- Pas encore eu le temps de la laver, pardon.

Ses yeux s'agrandissent encore, et je lui tapote la joue.

- Allez, fais pas cette tête ! Contrairement à toi, je ne te veux pas de mal. Voilà ce que je te propose : on va aller dans un vieux motel pourri, au fin fond d'un vieux village paumé, on va se prendre une bouteille à la réception, et on va parler de tout ça tranquillement. D'accord ?

C'est drôle comme ma voix s'est adoucie soudainement... Vasily hoche doucement la tête, serrant ses affaires dans ses mains. Je retourne près de la moto et sors un autre casque de ma selle. Je lui tends de mes deux mains, en souriant. Et je souris davantage quand il le saisit.

20 minutes de moto plus tard, et après avoir payé en liquide dans un hôtel minable une chambre pour deux et une bouteille de whisky, Vasily et moi nous laissons tomber sur un lit grinçant, mais au moins propre. Je décachète la bouteille et lui tends.

- Si tu veux un autre interrogatoire, c'est maintenant.

Je souris. Naïf, décidément. Peut-être de son côté ? Qui sait... Pour le moment, mettons que oui, même si là, c'est plus pour nos intérêts... Lui et moi, on doit survivre, et je dois finir ma mission.
En attendant, j'avais raison, je crois que mon petit numéro a bien marché : pour croire que je suis une revenante, c'est que visiblement je l'ai pris de court.

Mais, j'ai un léger doute, que je dissimule avec un grand sourire : dois-je lui dire toute la vérité ? Non, décidément non : d'une, je ne sais pas tout de lui. Deux, j'ai pas envie de me faire liquider, surtout si je ne connais pas son point de vue dans l'affaire. Je vais faire ce que je sais de mieux : jouer sur les mots.

"Je vais sûrement me répéter, mon joli. Je suis Ginaëlle Lordster, et je suis agent de terrain du SREC. On m'a envoyée pomper quelques infos dans les archives du Kremlin. Des infos toutes bêtes, pour constituer un dossier de base pour une nouvelle cellule locale de gestions d'informations. Pour ta sécurité, comme pour la mienne, je garde ces infos pour moi."

Je glisse un regard légèrement plissé vers lui. Ses lèvres se sont pincées, il se méfie. Je m'en doutais. J'émets un soupir.

"Je t'ai pas menti... Je n'avais aucun lien avec toi... Jusqu'à aujourd'hui."

Je m'approche de lui, en faisant couiner ce lit miteux, et attrape la bouteille. Sans faire exprès, je frôle ses doigts. Ils sont glacés, contrairement à moi. Je crois le voir frémir, et réfrénant un sourire, je bois une gorgée d'alcool.

"Je dois admettre que je t'aurais bien abandonné aux mains de tes gugusses... Mais ton histoire de trahison m'intéresse, et j'admets que te ramener vivant à la place des infos vaut tout le Kremlin... Tu vas sûrement le prendre mal, et je le conçois... Mais il va falloir que tu admettes que ça t'arrange plus qu'autre chose..."

Autre gorgée. Je le vois se crisper, et ses doigts tressauter près de sa ceinture. Oh, ce qu'il n'a pas fait... Je lâche la bouteille, et me jette sur ses hanches, en bloquant sa main. J'approche mon visage du sien, de sorte à sentir son souffle sur mon cou, avant de glisser un couteau sur le sien.

"Dernier détail..." fis-je d'une voix douce. "Si jamais tu t'amuses à faire l'idiot, ou au moindre coup de pute que tu puisses me faire, j'abrège ta vie, et je te fais disparaître de ce monde... Me suis-je bien faite comprendre ?"

Je plonge mon regard dans le sien, et j'attends sa réponse. Je ne le tuerai pas. Mais il va devoir comprendre qu'on ne se débarrasse pas de moi comme ça...